Cocktails sans alcool, cidres gourmets, hard seltzers rieurs… le cru 2021 place la sobriété festive au programme de nos apéros.
Après l’ambiance confinement et bons petits plats d’une année de pandémie qui s’est, pour beaucoup, déroulée à distance ou en isolement, maintenir un semblant de vie sociale et cultiver la convivialité au quotidien s’est révélé plus ardu que d’ordinaire. La bonne nouvelle ? Cela n’a pas découragé les bonnes volontés : toujours aussi amateurs de vin mais peu enclins à le consommer de façon routinière ou pour tromper l’ennui, les Français ont cultivé la sobriété festive.
Incarnation n°1 : les cocktails « nolo »
Au verre servi par habitude et aux degrés d’alcool écrasant toute velléité de légèreté, ils ont préféré l’ivresse des nouvelles saveurs et propositions hédonistes faisant la part belle au Nolo, le « no ou low alcohol », promettant des expériences enivrantes et 100% saines, capables d’émoustiller le palais et de signer les moments festifs sans jamais causer de gueule de bois.
Getaway Bar, Brooklyn
Comme en témoigne Hyacinthe Lescoët, en charge du bar à cocktails du Cambridge Public House à Paris, « Il est loin le temps où les clients nous demandaient de rajouter du rhum dans leur mojito. ». Les bars ne se font donc pas prier, renouvelant leurs cartes et cocktails pour mettre l’accent sur les saveurs et arômes prompts à satisfaire des palais en recherche de surprises gustatives, prêts à se laisser étonner par la finesse d’extractions, infusions et macérations en tous genres. En effet, comme le souligne Thierry Daniel, co-organisateur de la Paris Cocktail Week pour Le Monde, « Cette quête de bien-être, qui va de pair avec des modes de consommation plus sains, ne sacrifie pas pour autant le plaisir gustatif et le raffinement ».
À la créativité des barmen s’ajoute donc celle d’une grappe de précurseurs qui ont jugé l’occasion trop belle pour ne pas se positionner. Ces nouveaux venus aux lignes pures et allures racées n’ont fait ni une, ni deux avant de s’engouffrer dans la brèche et de rendre hautement désirable l’idée de se composer un bar tout en sobriété.
Goûts sophistiqués, saveurs complexes pour une concentration en alcool aussi faible que celle d’un ananas, Atopia promeut ainsi le plaisir autant que la modération, et choisit de se présenter au monde comme une nouvelle pratique bien-être, dans la lignée de la méditation, du yoga ou de la relaxation. Ses premiers ambassadeurs de marque, tels que @frankiebridge, s’inscrivent dans cette mouvance, partageant aussi bien recettes de cocktails que contenus attirant l’attention sur les problématiques de santé mentale.
Jusqu’au-boutiste, Kin Euphorics mise quant à elle sur les apéros mi-plaisir, mi-transcendantaux, avec une gamme de boissons fonctionnelles pensées pour les rituels modernes, favorisant la connexion humaine grâce à ses mélanges d’adaptogènes, de compléments alimentaires et de plantes favorisant l’union et la félicité partagée. Son credo largement avoué ? « De l’euphorie pour humains ».
Campari, de son côté, séduit les aficionados du Spritz en remettant Crodino sur le devant de la scène. La marque de sodas à l’orange née en 1964 épouse tous les codes de la dolce vita, et offre une amertume ne manquant pas de rappeler celle de l’Aperol. Une façon audacieuse de conquérir les aperitivi de la rentrée tout en restant fidèle à ses origines.
La distillerie de Paris, elle, s’est fixé pour ambition de créer un spiritueux sans alcool proprement électrisant. Son nom, Korova, inspiré du milk bar de Stanley Kubrik dans Orange Mécanique, est pensé comme une invitation à dérouter ses sens, grâce à des distillats botaniques à même de leur donner une illusion d’ivresse : « J’ai joué de goûts évoquant le froid, le chaud, le piquant ou l’astringence, que le cerveau associe à l’alcool. Au point que certaines personnes peuvent se sentir pompette après quelques verres. », explique Nicolas Julhès, patron de la Distillerie de Paris.
La liste des spiritueux sans alcool s’allonge, riche en couleurs et ne manquant pas de panache. Aux côtés de Seedlip, le précurseur sur lequel nous reviendrons plus en détail, l’on retrouve désormais les marques Curious Elixirs, Mountain Elixirs, Optimist Drinks, Avec Drinks, Memento Nonalcoholic Blends… chacun promettant, littéralement, des soirées plus belles et des lendemains qui chantent, grâce à des saveurs toujours plus travaillées et pointues, des packagings toujours plus créatifs, des expériences cocktails menant la vie dure à la routine et capitalisant sur la valeur qui va avec, chaque bouteille affichant un prix d’achat compris entre 25 et 40 euros.
Incarnation n°2 : les hard seltzers créatifs
Toute la beauté du phénomène NoLo réside dans le fait qu’il ne se résume pas aux spiritueux : accompagner la nouvelle génération de « hards » pleins de vertu appelle ainsi la naissance d’un nouveau type de « softs » et boissons apéritives capables de piquer la curiosité des buveurs, ouvrant les portes d’un réservoir d’innovations potentielles.
En France, la demande exprimée par 34% des consommateurs de se voir proposer des boissons alcoolisées faites à partir d’ingrédients de haute qualité encourage l’essor de marques de hard seltzers premium, misant alternativement sur la pureté de leur eau, l’exotisme de leurs recettes (kiwi, fruits rouges…), l’artisanat qu’elles renferment ou leur légèreté (d’esprit, de calories, d'alcool). Subtiles, affichant un marketing non genré, ces eaux aromatisées pétillantes aux degrés d’alcool compris entre quatre et six degrés ont été qualifiées de « boissons officielles de 2019 » par le Washington Post.
Si les pionniers du secteur sont déjà bien installés -White Claw détenait, en 2019, 54% du marché, devant Truly Hard Seltzer, BudLight Seltzer et Bon Viv-, les derniers arrivés jouent des coudes pour gagner le coeur des consommateurs.
Parmi eux, l’on s’attardera notamment sur Half Past, dont l’identité enjouée et affirmative se veut revendicatrice des bons moments que son hard seltzer se propose de créer. Lancée au début de l’été 2021 et imaginée comme une invitation à la joie, où que l’on soit et dès qu’on le souhaite, la nouvelle née souhaite challenger le concept de hard seltzer grâce à des recettes hybrides qui défient les saisonnalités. Sa gamme, pensée « For a better whenever », se décline donc en duos de saveurs tels qu’Ananas & Clou de girofle, Gingembre & Curcuma, Raisin & Romarin ou encore Citron vert épicé. Un énième coup de boost -et plaisir des yeux- sur un marché à suivre de près, dont le dynamisme ne semble pas prêt de s’essouffler.
Incarnation n°3 : les alcools aériens
Pour ceux qui ne résisteraient pas à l’envie de se sentir pompette lorsqu’ils boivent, les boissons alcoolisées sont, elles aussi, poussées par un vent de légèreté. Plus conscientes, sophistiquées et à la concentration en alcool abaissée, elles mettent à l’honneur une consommation raisonnée mais joyeuse, célébrant alternativement le terroir, le savoir-faire à leur origine ou les bons moments qu’elle accompagne.
Il en va ainsi de Ségora, un Hard Cider lancé en mars 2020, récompensé par le SIAL 2022 pour sa qualité et son positionnement Frenchy, qui cultive son esprit gourmet autant que ses pommes bien élevées, cueillies à la main pour des boissons effervescentes distinguées.
Même chose chez Loïc Raison, qui, décidé à célébrer les cidres de caractère, a lancé sa gamme Sélection pour rendre hommage à toute l’impétuosité du tempérament breton tout en invitant à un hédonisme joyeux et éduqué à travers la Sistronomie, qui insuffle une richesse inattendue à l’art d’accorder ses mets et cidres.
Les propositions de vins sans alcool ne sont pas en reste : si le goût ne prétend en rien se rapprocher de celui de nos crus régionaux, il promet en revanche des expériences gustatives aussi « funky que complexes », à savourer dans sa verrerie la plus fine.
Inspiré par le vin, la variété de ses crus et millésimes, mais déterminé à tracer son propre chemin, le groupe Acid League a lancé la marque « Proxies » destinée aux amoureux des dégustations en manque de nouvelles découvertes. Chaque mois, celle-ci ravit les amateurs de vin en dévoilant un nouveau trio de saveurs qui évoluent avec les saisons grâce à un savant mélange de jus, épices, thés et bitters, imaginés pour créer de parfaits accords mets-vins. La marque joue la carte de l’initiation et décline une grammaire et des outils (club d’amateurs, notices de dégustation…) largement infusée par celle des sommeliers, la dimension expérimentale en plus.
Dans un autre esprit, Napa Hills, marque pionnière du genre, a choisi de changer l’eau en vin (littéralement). Ses eaux aromatisées, enrichies des bienfaits de la vigne grâce à un mélange de resveratrol, de peau de raisin et d’extraits de vin rouge, sont aussi chargées que le vin en antioxydants, mais aussi faibles en calories qu’en sucre, permettant à la marque d’offrir une gamme de saveurs telles que Cherry Rosé, Peach Grigio, Lemon Chardonnay ou Pinot Berry absolument décomplexée.
Et demain ?
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la consommation d’alcool a baissé de 5% dans le monde entre les années 2000 et 2016. Les palais devenant de plus en plus éduqués, et donc exigeants, l’attente de boissons, concoctions et cocktails se détache désormais largement des sempiternels Virgin Mojitos, jus concentrés et sodas servis dans les bars depuis des décennies. Ce faisant, elle encourage la montée d’un nouveau snobisme, universellement répandu chez les jeunes générations, se portant sur des créations sensationnelles, positives voire vertueuses, enivrantes de créativité et hautement sophistiquées qui ouvrent, à leur tour, un réservoir de valeur exponentiel pour qui saura surfer sur le phénomène.
De quoi souffler un vent d’innovation chez les alcooliers, mixologistes, bars et créateurs de boissons en tous genres, grâce à une feuille de route limpide : inventer les eaux, tonics, cocktails et boissons qui libèreront l’apéritif aussi bien des calories superflues que des maux de tête du lendemain.
Tchin tchin !
